يمكن الاطّلاع على مجموعة من الدروس الفلسفية باللسان الفرنسي من أجل الاستئناس .وسأعمل على نشر بعضها بحسب الطلب من المدرسات والمدرسين الجدد.
Table des matières
Leçon 1. L’image du philosophe.
Leçon 2. Les visages de la philosophie……. 7
Leçon 3. La philosophie comme art de la réflexion..13
Leçon 4. L’obscur objet du désir………………………. 18
Leçon 5. Maîtrise et satisfaction des désirs………… 28
Leçon 6. De l’expérience passionnelle……………….. 35
Leçon 7. Les formes de l’illusion……………………… 45
Leçon 8. L’existence consciente……………………….. 52
Leçon 9.
Conscience et connaissance de soi ………….62
Leçon 10. La nature du sujet conscient………………… 70
Leçon 11. L’hypothèse de l’inconscient………………. 78
Leçon 12. Comprendre autrui……………………………. 88
Leçon 13. Les formes de la relation…………………….. 95
Leçon 14. Sentir et percevoir……………………………. 105
Leçon 15. Les caractères de la mémoire………………… 113
Leçon 16. Les dimensions temporelles ………………… 120
Leçon 17. Le fleuve du temps …………………………..... 128
Leçon 18. Vivre et exister ………………………………… 138
Leçon 19. L’idée de Nature ……………………………… 146
Leçon 20. Humanité et culture ………………………….. 155
Leçon 21. La définition de l’histoire …………………….. 166
Leçon 22. Le sens de l’histoire …………………………….. 172
Leçon 23. Structure du langage……………………………. 182
Leçon 24. Le langage et la pensée………………… 193
Leçon 25. La vocation du langage ……………………. 202
Leçon 26. Le bruit, le silence et le langage ……… 210
Leçon 27. L’imagination et l’imaginaire ………… 215
Leçon 28. Le pouvoir de l’abstraction et l’idée ……… 224
Leçon 29. Le monde des opinions ………………… 230
Leçon 30. De l’expérience à l’expérimentation ………236
Leçon 32. Les éléments de la théorie scientifique 245
Leçon 33. Le statut de la logique ……………………252
Leçon 34. La pensée et le calcul ……………………261
Leçon 35. Le vivant et l’inerte………………………………267
Leçon 36
Les problèmes éthiques de la biologie ………… 273
Leçon 37. Le statut des sciences humaines ………280
Leçon 38. Science, mythe et philosophie …………287
Leçon 39. Science, raison et irrationnel ……………295
Leçon 40. Vie et vérité …………………………………302
Leçon 41. Le critère de la vérité ………………………311
Leçon 42. Le sens du travail …………………………… 321
Leçon 43. Échange et système économique …………330
Leçon 44. Science, technique et tradition ……………342
Leçon 45. Technique et volonté de puissance …… 348
Leçon 46. La création artistique ………………………357
Leçon 47. La contemplation esthétique ……………… 366
Leçon 48. Raison et religion ………………………… 347
Leçon 49. La sociabilité humaine ……………………… 381
Leçon 49. La sociabilité humaine ………………………388
Leçon 51. Le pouvoir et le droit ………………………….. 394
Leçon 52. Violence et société …………………………… 402
Leçon 53. Violence et nature humaine ………………….408
Leçon 54. Le bien et le mal …………………………………413
Leçon 55. Les fondements du devoir ……………………..419
Leçon 56. Le droit et la force……………………………… 426
Leçon 57. Droits de l'homme et droits du citoyen … 432
Leçon 58. Le sens de la justice ………………………… 438
Leçon 59.
Nature de la volonté ………………………………… 443
Leçon 60. L’identité personnelle ………………………449
Leçon 61. La recherche du bonheur ………………… 455
Leçon 62. La liberté politique …………………………… 463
Leçon 63. L’essence de la liberté ………………………… 470
Leçon 64. Le temps et l’éternité ………………………… 478
Leçon 65. Savoir vivre et savoir mourir ……………… 487
Leçon 66. La représentation de la mort ………………… 495
Leçon 67. Le respect de la Nature ………………………504
Leçon 68. L'œuvre d'art ……………………………………512
Leçon 69. La raison et le sensible ………………………521
Leçon 70. Croyance et vérité ………………………….529
Leçon 71. Langage et réalité …………………… 546
Leçon 72. Existence, plénitude et Vacuité ……… 553
Leçon 73. Histoire et évolution ……………….. 560
Leçon 74. Vers la paix perpétuelle …………….. 572
Leçon 75. Science et philosophie ……………… 583
Leçon 76. La pensée et la vie ………………….. 593
Leçon 77. La conscience et le corps ……………. 602
Leçon 78. L’intelligence et les limites de la pensée 615
Leçon 79. La complexité de l’inconscient………… 624
Leçon 80. La fidélité à soi et le temps …………….. 634
Leçon 81. La pensée, la conscience et l’inconscient ..642
Leçon 82. La féminité entre nature et culture……… 650
Leçon 83. Sagesse et philosophie…………………….. 659
Leçon 84. L’essence de la beauté…………………… 668
Leçon 85. De la société à l’Etat…………………. 677
Leçon 86. Le don et l’échange…………………………. 687
Leçon 87. L’art entre illusion et réalité……………….. 696
Leçon 88. Temps cyclique et temps linéaire……….. 705
Leçon 89. Raison et folie………………………………. 715
Leçon 90. Culture, sous-culture, contre-culture………. 725
Leçon 91. La conscience et observation…………………. 737
Leçon 92. Le virtuel et le réel………………………………. 747
Leçon 93. La démonstration…………………………….. 759
Leçon 94. L’interprétation ……………………………….769
Leçon 95. Ecriture du moi, écriture du soi…………….. 779
Leçon 96. Physique, matière et conscience…………….. 792
Leçon 96. Physique, matière et conscience…................. 803
Leçon 97. L’illusion et la vie……………………………….. 814
Leçon 98. L’existence et la peur…………………………… 824
Leçon 99. La première personne et l’impersonnel……. 835
Leçon 100. La question de l’altérité……………………. 848
Leçon 101. La présence et l’éveil………………………… 856
Leçon
102. L’essence de la Vie………………………………………. 865
Leçon 103. Esthétique de la poésie…………………….. 872
Leçon 104. Art et imitation………………………………. 882
Leçon 105. La vocation de l'histoire…………………… 893
Leçon 106. Existence et responsabilité………………… 906
Leçon 107. Diversité culturelle et unité humaine……….. 918
Leçon 108. Terre vivante ou nature morte………………. 928
Leçon 109. Sociologie et conscience collective……….. 940
Leçon
110. Le changement des mentalités………………………. 952
Leçon 111. Le paradigme mécaniste…………………………………. 970
Leçon 112. Dualité et non-dualité……………………………. 983
Leçon 113. Intelligence et pensée et non-verbale………. 994
Leçon 114. La Nature comme modèle……………………… 1006
Leçon 115. Raison et bon sens…………………………… 1019
Leçon 116. Le paradigme de la complexité……………….1029
Leçon 117. De la religion à la spiritualité…………………. 1040
Leçon 118. L’idée de Dieu……………………………… 1052
Leçon 119. La société de consommation……………. 1063
Leçon 120. L’action juste ……………………………….. 1078
Leçon 121. Le jugement moral et l'Être………………… 1090
Leçon 122. Discussion et polémique…………………….. 1102
Leçon 123. La primauté des valeurs…………………….. 1115
Leçon 124. Le hasard dans l'univers………………………. 1129
Leçon 125. L'Ethique et le Droit des Animaux
………………….. 1140
Leçon 126. Croissance, décroissance, développement … 1154
Leçon 128. L’accomplissement de la relation…………….. 1170
Leçon 129. Recherches sur la synchronicité………………. 1181
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* *
Chaque jour nous rencontrons des proches, des
amis, des voisins, des êtres humains. Nous vivons avec autrui, nous
sommes plongés dans le milieu de la relation. Nous reconnaissons l’autre à son
allure, à sa voix, à ses qualités de caractère. Autrui nous est en cela
familier.
Mais cela ne veut pas dire que d’emblée nous
comprenons l’autre. Ceux que nous croyons semblables au premier abord se
révèlent toujours différents de ce que nous aurions pu penser d’eux.
L’expérience d’autrui est familière mais elle nous plonge aussi dans une
formidable diversité ; elle nous fait rencontrer la particularité
de chacun. Or, pour connaître le plus souvent que faisons nous ? Nous nous
servons de catégories toutes faites. Nous disons de Pierre qu’il est
« musicien », de Paul que c’est un « dépressif » ou un être
« gamin ». Les termes de « musicien » ou de
« dépressif » ou « gamin » conviendrait tout aussi bien à
un autre que Pierre. Ils ne décrivent pas ce qu’il est, ce qu’il possède en
propre ce qui le rend différent de A ou B. Aristote disait qu’il n’y a de
connaissance que du général et d’existence que du particulier.
Comment parvenons nous à surmonter cet obstacle? Qu’est-ce qui nous permet
de comprendre autrui ?
A. Le statut de l’intersubjectivité
Nous sommes habitués à un schéma de
compréhension : nous pensons que comprendre, c’est saisir une idée,
ou un concept. Dans l’ordre du savoir, comprendre un phénomène, c’est être en
mesure de l’expliquer. Toutefois, comprendre,
est-ce vraiment la même chose qu’expliquer ?
A l’égard d‘autrui, que signifie le mot comprendre? On dira plus volontiers que
l’on comprend quelqu’un et que l’on explique quelque chose. Nous
ne pouvons pas dire « expliquer quelqu’un », car le mot expliquer
appelle une réponse arrêtée, une « explication » alors que nous
savons bien qu’une personne est toujours complexe et que nous ne pouvons pas en
faire le tour dans une « explication » toute faite. Dans
l’explication, il y a aussi une idée de décomposition, d’analyse qui
ne va pas avec l’idée d’appréhension
globale que comporte la compréhension.
Nous pouvons aller plus loin dans ce sens.
Qu’est-ce en effet qu’une explication scientifique ? Une explication
scientifique est un système de représentations qui permettent de rendre compte
d’un phénomène objectif. Un
tremblement de terre a lieu au Pérou. On dépêche sur place des spécialistes et
on attend d’eux des explications, qu’ils fournissent une explication dans une théorie
précise, telle que la tectonique des plaques en géologie. La théorie
scientifique invoque des causes, des antécédents, des lois ; bref, une
liaison afférente des phénomènes dont on puisse rendre compte par la mesure et
par un processus de répétition d’expériences. Ce
qui est remarquable dans l’explication, c’est son caractère achevé. Une fois
que l’on a une explication valide, on estime avoir fait le tour d’un phénomène,
de l’avoir ainsi rangé dans l’ordre du savoir. L’explication est en ce sens le
paradigme de l’objectivité, le paradigme général des sciences de la Nature.
La compréhension d’autrui est visiblement très
différente. Comprendre c’est saisir des intentions, des
motivations, qui font que Pierre ou Paul a agi de telle ou telle manière. Je
peux comprendre les raisons qu’avait Napoléon de prendre la couronne des
mains de l’évêque lors de son sacre. Il voulait affirmer par-là la suprématie
du pouvoir politique sur le pouvoir religieux. Je comprend toujours de
l’intérieur ce qui relève de l’esprit. Par contre, strictement parlant, je ne
peux pas dire que la science physique m’aide à « comprendre » un
phénomène naturel, tel que la chute de la pierre. Elle l’explique. Les
sciences de la Nature ne permettent pas de comprendre la Nature mais elles
permettent surtout de l’expliquer. Comprendre, ce serait en effet prêter à la
Nature des intentions, ce qui voudrait dire une conscience, des
motivations, ce qui semble très audacieux pour le physicien. C’est même une erreur
que l’on appelle l’anthropomorphisme. Il faudrait admettre que la
science elle-même est une forme d’interprétation subjective ! Or, dans les
sciences de la Nature, nous pensons tout juste le contraire. A l’inverse, les sciences humaines
sont supposées devoir nous apporter des clés de compréhension de l’humain en respectant sa nature d’être
conscient mû par des motivations. Le paradigme des sciences humaines réside
donc dans la compréhension.
En résumé il semble y avoir deux ordres :
Ordre
de l’objet |
Ordre
du sujet |
objectivité |
subjectivité |
Explication
scientifique |
Compréhension
d’autrui |
cause/effet
: causalité de la Nature |
moyen/fin
: intentionnalité de la conscience |
lois,
antécédents et conséquents |
motivations,
buts, aspirations |
=
perception de choses |
=rencontre
des personnes |
Sciences
de la nature |
Sciences
humaines |
Ce point de vue est celui de Dilthey, un
théoricien des sciences humaines. Il est clair
d’après ces distinctions que l’approche objective de la connaissance ne peut
pas nous permettre de cerner la question d‘autrui. L’existence d’autrui est
toujours un scandale pour la pensée objective. Elle fait intervenir un facteur
qu’elle s’empresse d’éliminer qui est la subjectivité. Inversement, l’approche
subjective nous fait participer des motivations d’autrui, d'une conscience qui
par nature entre mal dans le moule rigide de l’explication causale.
Développons. Quand avons-nous le sentiment
d’être compris ? Quand nos véritables intentions ont été reconnues. Nous
nous montrons capables de comprendre les autres quand nous parvenons à
ressaisir en nous les intentions d’autrui, quand nous pouvons aller jusqu’à
ressentir par sympathie ce qui se présente comme
une raison de vivre et d’agir. L’autre n’est plus alors seulement un exemplaire
d’une catégorie, mais un être humain conscient comme moi, un être que je puis
porter en moi dans mon affection.
La compréhension d’autrui est donc un processus
beaucoup plus délicat que celui de l’explication d’un phénomène physique, car
une conscience ne peut pas se réduire à une chose. L’âme a des replis
qui vont à l’infini dit Leibniz. On n’en fait pas le tour aisément : l’esprit
est une fontaine vivante de significations. Le processus de l’explication
permet d’objectiver le savoir, mais objectiver l’autre, c’est le réduire au
statut de l’objet, ce qui veut dire le nier en tant que sujet. C’est par
exemple ce qui se produit quand, délaissant la dimension de la conscience, on
regarde le comportement seulement sous l’angle du stimulus/réponse. On ne voit
plus une conscience créatrice de son univers mais une chose réagissant à des interactions,
mue par des causes. Connaître autrui, c’est découvrir toute la profondeur d’un
esprit, c’est découvrir le sens d’un acte ou d’une attitude. La compréhension
d’autrui est un processus qui est le contraire de la chosification
opérée par une explication objective. La compréhension se fait de l’intérieur,
par participation à la conscience d’autrui, de l’autre côté,
l’explication se fait de l’extérieur, par agencement de causes.
B. La connaissance par conjecture
Maintenant, comment s’opère cette compréhension
d‘autrui dans l’ordre du quotidien ? Le plus souvent,
nous estimons avoir compris l’autre quand nous sommes parvenu « à nous
mettre à sa place ». Nous nous faisons des réflexions du genre :
« à sa place, j’aurais fait cela, j’aurais pensé telle ou telle
chose ». Que se passe-t-il alors ? Nous jugeons l’autre, nous
reconstruisons les pensées de l’autre, c’est à dire nous conjecturons de
ce qu’il a dans l’esprit pour pouvoir le comprendre. Nous appellerons connaissance
par conjecture un mode de compréhension d’autrui qui passe par la médiation
d’un raisonnement sur ce que nous supposons de la pensée d’autrui. Nous avons
foi dans ce procédé de construction mentale de l’autre. D’ailleurs, quand on
s’estime incompris, on dit « mets toi à ma place! ». La conjecture devrait permettre de se transporter dans la
pensée de l’autre en retrouvant ses intentions, ses raisons. C’est donc un mode
de connaissance indirecte. Nous
usons de ce procédé tout particulièrement en l’absence de l’autre, en imaginant
ce qu’il peut bien avoir dans la tête. S’il s’agissait simplement de se
connaître soi-même, nous aurions recours à une sorte d’introspection,
mais on ne peut connaître par introspection que
soi-même, l’autre doit être connu de manière différente. Il est donc tentant de
considérer la connaissance par conjecture comme le pendant de l’introspection
dans l’ordre de la connaissance d’autrui.
Examinons comment peut s’opérer cette
reconstruction. Il y a d’emblée une difficulté : je ne peux pas me mettre à la
place de Pierre ou Paul pour éprouver ce qu’il éprouve. Il est même illusoire
de penser que l’on pourrait habiter l’esprit d’un autre. La formule « se
mettre à la place d’autrui » est sur ce plan une absurdité. Il est par
contre possible de chercher à deviner les sentiments et les
pensées d’autrui. Pour cela, il me faut conjecturer à partir d’une référence
et faire une comparaison. Sachant par expérience
que les larmes sont en ce qui me concerne l’expression de la tristesse,
je déduis en voyant Pierre pleurer qu’il est triste. Je fais une inférence qui
va d’un cas particulier, moi, ma
tristesse, à un autre cas particulier, la tristesse de Pierre. Je suppose que
ce qui est cause des larmes en ce qui me concerne, moi, doit aussi être cause
chez autrui. Je pense que tous les hommes sont faits de la même manière, et je
pose surtout que l’autre est comme moi. Par extension, je reconstruis les
intentions qui sont à l’œuvre derrière des attitudes diverses, en supposant
toujours « qu’à sa place j’aurais certainement réagi comme cela... »
De plus, la conjecture suppose une
interprétation monovalente d’un signe perçu
chez l’autre. Mais l’interprétation devrait être polyvalente pour respecter la
complexité de l’autre. Est-il vrai par exemple que les larmes soient toujours
le signe de la tristesse ? Le rire est-il toujours le signe de la
joie ? Non. Une extrême tension intérieure peut se dénouer dans un spasme
presque douloureux sous forme de rire. Il existe des « rires nerveux »
qui ne sont pas du tout des rires venus de la joie, qui ne manifestent pas
réellement la gaieté. Inversement, il y a des larmes qui sont des larmes de
bonheur. Il serait arbitraire de choisir une interprétation a
priori sous prétexte qu’elle est ma réaction. Pire, l’être humain est
tout à fait capable de dissimuler. L’introverti ne se dévoilera pas facilement,
il ne laissera parfois qu’à peine transparaître une rougeur de trouble. Comment
inférer correctement dans de telle condition ? Nous pouvons aussi
rencontrer devant nous une simulation. L’expérience quotidienne nous montre que
chacun d’entre nous est capable de poser sous des personnages très divers. On
ne se présente pas de la même façon au travail, devant un supérieur
hiérarchique ou devant un subordonné, devant sa femme, devant ses amis, devant
son frère ou devant la caissière du supermarché. Nous avons la capacité de
simuler artificiellement des sentiments que nous n’avons pas. Si l’autre simule
et que je ne me rends pas compte de la feinte, de ce qui artificiel dans sa
réaction, pris au piège de l’apparence, je serai dupé.
Par précaution, il vaut mieux être radical.
Autrui n'est jamais tel que je l’imagine, il est toujours différent de ce que
je peux reconstruire mentalement par avance. Mes constructions mentales à
son égard sont hasardeuses. Il arrive parfois que je devine juste, ainsi le
plus souvent je me trompe. Conjecturer de ce qu’est autrui, ce n’est pas voir,
ce n’est pas comprendre autrui, c’est imaginer autrui, c’est se représenter
l’autre et c’est très différent. La conjecture certes n'est pas une forme de
chosification d’autrui, elle se déploie dans le milieu de la subjectivité
intime, mais ce n’est pas une compréhension d’autrui.
C. La connaissance immédiate
Nous ne passons pas tout notre temps en
conjectures à l’égard d’autrui. La présence d’autrui le plus souvent nous en
empêche, car elle s’imprime en nous, sans nous laisser beaucoup de loisir pour
imaginer. On ne conjecture à tort et à travers qu’en l’absence d’autrui, parce
qu'en l'absence d'autrui le mécanisme de projection
n'est pas entravé. Mais devant l'autre? L’expérience de la présence d’autrui
est beaucoup plus prégnante que l’expérience des choses. Je ne suis guère gêné
de la présence du compotier sur la table, des gravures sur le mur, de la
pendule sur l’étagère. Je peux même aisément l’ignorer. Le chat qui me regarde
ne me trouble pas beaucoup. Par contre le regard de l’autre posé sur moi ne
peut pas me laisser indifférent. Il me trouble, il m’inquiète, il m’attire ou
me repousse. L’autre est là et je ne peux pas en faire ce que je veux. La
présence d’autrui est une telle provocation que je ne peux pas
l’intellectualiser si librement qu’il paraît. Ne voir la connaissance d’autrui
qu’à travers la conjecture, c’est ignorer la plus grande part de l’appréhension
directe que nous avons des autres.
Considérons par exemple l’enfant. Peut-on
raisonnablement croire que l’enfant conjecture comme l’adulte ? Non. Il
est plus sensitif et immédiat, il est dans l’immédiateté de la donation de la
présence d’autrui jusqu’à la crédulité la plus naïve. En effet, l’enfant
perçoit, saisit d’emblée l’expression d’autrui. Il voit à travers le geste
l’intention, mieux, il voit directement l’intention, sans qu’il lui soit
seulement possible de dissocier l’apparence de sa vérité. Dans le visage fermé,
il y a la colère, dans le sourire il y a la tendresse, dans la taquinerie, il y
a l’intention du jeu. Il suffit donc de « faire semblant » et le
résultat est pour lui le même, car l’enfant est tout entier dans l’apparition
expressive. Il est très étonné quand on lui explique que ce n’était pas une
« vraie colère ». Il roule des yeux ronds, il ne comprend pas que
l’on puisse être différent de ce que l’on exprime. Cela marque la limite de sa
saisie intuitive de l’autre, puisque il ne discerne pas l’artifice, le joué, le
dissimulé. Ce qui est en tout cas assuré, c’est qu’il connaît autrui dans
l’immédiateté du sentiment et non par inférence.
Il y a d’autre part, dans la perception
d’autrui chez l’adulte, des formes de reconnaissance qui n’ont pas recours à
l’inférence. C’est le cas de toutes les identifications immédiates repérées par
des habitudes. On peut distinguer ici : les signes
culturel et les signes de l’action .
2° Mais n'y a-t-il pas aussi un langage du corps et de l'expression qui est
universel? Regardons ce que fait le mime. Le mime se sert de signes que tout un
chacun peut immédiatement repérer. Le mime Marceau pouvait faire des spectacles
partout dans le monde, sans avoir besoin de traducteur. Le voyageur dans
l’autobus, le violoniste, l’homme pressé qui va à son travail etc.. toutes ces
figures humaines sont aisément identifiables. On peut dans le mime construire
des histoires très complexes en utilisant ces signes que les spectateurs vont
reconnaître sans user d’une seule parole. D’ailleurs, le succès universel des
mimes montre qu’il doit bien y avoir un langage gestuel universel, un
langage naturel du corps que nous pouvons fort bien reconnaître sans qu’il soit
nécessaire de faire des conjectures complexes. Les signes
de l’action ne sont plus seulement affaire de telle ou telle culture, de
telle ou telle convention sociale.
Le mime emprunte son art à un phénomène plus
général qui est celui du passage spontané de l’intériorité vers l’extériorité.
Tout sentiment imprime à notre corps un certain pli. La tristesse compose un
visage, ainsi que la frayeur, la surprise, l’admiration, la joie etc. Le mime
se sert à merveille de cette relation, de telle manière que le spectateur, loin
de devoir inférer quoi que ce soit, saisi immédiatement le sentiment et
l’émotion qui à un moment vienne comme posséder le corps tout entier.
Nous avons pourtant été formés dans notre
tradition pour distinguer et opposer intériorité/extériorité. Le sens commun
raisonne dans les termes d'une métaphysique de la dualité de
l’âme et du corps : « il ne faut pas se fier aux apparences »,
« l’habit ne fait pas le moine » ! On sous-entend alors que
l’apparence d'autrui est en opposition avec sa réalité. Devant l’autre je
devrais alors renoncer à sa donation de présence et lui prêter un être tout
différent de ce qu’il paraît. Mais vouloir séparer un sentiment de son signe
extérieur n’est-ce pas une absurdité ? Le visage est un état d’âme, il est
le miroir de l’intériorité. « La conscience n’est pas séparable du corps.
Elle est d’une certaine façon présente dans le visage, elle en est pour ainsi
dire l’intention ». Il faut certes pouvoir se garder d’une méprise face à la
simulation et à la dissimulation, mais pour l’essentiel, le principe du passage
naturel de l’intérieur à l’extérieur reste vrai. Dans la spontanéité, le
paraître est toujours l’expression même de l’être. Ce que nous sommes se
reflète dans nos expressions. Il ne saurait y avoir de dualité brutale entre
l’âme et le corps, parce que le corps n’est pas une simple chose, le corps est
lui-même animé par la conscience, il est un corps vivant. Le
schéma de la relation de l’intérieur serait, non le ruban refermé sur lui-même,
mais plutôt le ruban de Moêbius où les extrémités sont inversées, ce qui fait
que l’intérieur communique avec l’extérieur et inversement l’extérieur
influence l’intérieur. C’est la non-dualité qui
explique le mieux la puissance expressive de la conscience et non la position
de la dualité.
Dès lors, la physionomie a tout son sens et le
psychologue n’a au fond pas besoin d’être un esprit retors; au contraire, être observateur,
c’est accueillir telle quelle la donation de présence d’autrui, sans interférer
en rien avec ce qui se donne. C’est la que réside la possibilité d’une
connaissance intuitive d’autrui. Si nous revenons avec attention à l’expérience
elle-même, nous verrons qu’effectivement l’autre, de toute manière, s’impose à
nous et c’est bien ce qui constitue la rencontre d’autrui. Il se donne tel
quel, avec sa force, sa faiblesse, son agressivité ou sa méfiance, sa
gentillesse ou son inquiétude, son intelligence étroite ou bornée. L’autre est
donné dans sa totalité dans sa manifestation en personne. Il est ce qu’il
paraît et il est aussi plus qu’il ne paraît, c’est-à-dire ce dont il est
capable, ce qu’il porte en lui à titre de virtualités. La formule « il ne
faut pas se fier aux apparences » est donc au fond très superficielle,
elle n’est qu’une précaution contre la tromperie. Un regard plus lucide peut
très bien voir la dissimulation et la simulation. Rien n’est plus évident
qu’une pose artificielle, il y a dans la retenue un masque qui ne fait pas
toujours illusion. C’est ainsi bien souvent qu’un tremblement de la main nous
en dit parfois plus long que des paroles qui se veulent rassurantes. La loi
générale de la Nature va
dans le sens de l’expression. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il faille
croire aveuglément dans l'apparence de l'autre. Il faut aussi faire attention à
ce que nous présentons comme de soi-disant « intuitions » d'autrui.
Qui sait en effet si nous ne prenons pas nos propres attentes, nos propres
craintes pour des "intuitions" ? L’intuition n’est pas une
forme de la projection. Mais savons-nous départager nos émotions devant
l’autre, nos attentes, de notre sentiment de l’autre ? Il faudrait pour
cela se connaître mieux soi-même pour éviter l’immixtion des deux ordres et
leur confusion. Trop souvent ce que je pense comprendre est mon interprétation,
elle ne vient que de moi, elle n’est pas un véritable voir. Il
faut toute l'acuité de l'intelligence pour que l’intuition retrouve sa
vraie valeur.
D. Savoir écouter, savoir parler
Et c'est pourquoi de la donation de présence,
nous avons besoin de passer à la parole pour tenter de comprendre autrui.
Seulement, c'est là que nous attendent bien des difficultés.
Il est exact que de pouvoir parler avec autrui
doit me permettre de mieux le comprendre. Mais que veut dire exactement
"parler" ? Il ne suffit pas de « parler » pour nouer
un dialogue. Il y a dialogue quand la parole est vivante et
que sont rassemblées plusieurs conditions : 1) présence de deux personnes, 2)
compréhension mutuelle, 3) terrain commun, 4) contenu signifiant à échanger. Le
dialogue n’est le lieu de la compréhension d'autrui que lorsqu’il est
authentique, ce qui est plus complexe qu’on le croit.
A supposer que ces obstacles soient surmontés
dans une sincérité mutuelle, le dialogue permet effectivement de s’ouvrir à
l’autre et d’entendre ce que l’autre a sur le cœur. Si comprendre c’est
ressaisir des intentions et des motivations, cette ressaisie est entière quand
elle est reçue de vive voix et non composée par conjecture de l’extérieur. Écouter ce que l’autre a à nous dire c’est aussi aider l’autre
à faire son chemin dans le langage, à trouver les mots pour
dire ce qui a besoin d’être dit pour être compris. Comprendre quelqu’un, c’est
écouter la voix d'une présence consciente, une parole qui s’exprime dans ses
propres mots et ce partage peut-être réalisé dans le dialogue.
Cependant, si les intentions se développent
dans les paroles, elles percent aussi entre les mots. Si le discours a sons
sens, les silences entre les mots ont aussi une éloquence. Comprendre l’autre,
ce n’est pas seulement comprendre ce qu’il dit, c’est aussi comprendre ce qu’il
ne dit pas mais qui s’exprime aussi en lui. L’autre est autant donné dans ce
qu’il dit que dans ce qu’il ne dit pas, il est cette totalité indivise. En
d’autres termes, la compréhension suppose à la fois le dit et aussi le non-dit.
Nos gestes en disent souvent aussi long que nos paroles. Selon les psychologues
de la relation, 7% seulement de la communication passe par les mots, 38% passe
par l’intonation qui traverse la voix et 55% relève du langage du corps. Il
arrive assez souvent que le discours conscient de l’autre entre en décalage
avec le discours inconscient qu’exprime son visage, son attitude, qu’il n’y ait
une rupture de cohérence interne. Ainsi de la personne qui prend un ton enjoué
et artificiel, tandis que tout son corps se met d’abord à exprimer la
gène, puis la défense, puis le mensonge et la dissimulation de l’inavouable.
Pour comprendre autrui, il faut donc avoir la
capacité de le laisser-être tel qu’il est, sans le juger, afin d’écouter sa
parole dans sa présence. Et c’est bien la difficulté, car nous savons
aussi peu accorder une attention libre et disponible à l’autre, que nous savons
l’écouter. Pour comprendre autrui, nous devons lui offrir notre totale
disponibilité dans le présent. Nous ne devrons introduire ni condamnation, ni
identification. Comprendre n’est pas juger, or il est si facile de préjuger
d’autrui, plus facile que de chercher à comprendre !
On répète souvent que le dialogue permet de
comprendre autrui. Il est bien sûr souhaitable de faire les louanges du
dialogue, surtout dans un monde d’incompréhension tel que le nôtre, mais encore
faudrait-il qu’il soit vraiment établi, sinon l'apologie du dialogue ne sera
elle-même que paroles vides. C’est l’enjeu du savoir écouter, sous-jacent
au savoir parler. L’art de parler suppose un respect des attentes d’autrui,
l’art de se mettre à sa portée afin de donner les réponses que l’on est capable
de donner, afin de partager ce que l’on est capable de partager. L'art de
parler est fondé sur l’art d’écouter. Or l’écoute de l’autre nous révèle
des différences qui ne rendent pas aisées, la capacité de partager dans le
dialogue. Il faut évidemment laisser de côté les étiquettes toutes faites et
derrière les étiquettes il y a le caractère unique de chaque personne qui rend
toutes les comparaisons impossibles. Le préalable à toute compréhension
authentique, c'est de chiffonner l'image que l'on possède de l'autre. Dialoguer
c’est - au-delà des discours convenus et des paroles oiseuses - participer de
l’intimité de l’autre, une intimité qui n’est ni la nôtre, ni celle de
n’importe qui.
Ce que nous oublions trop souvent, c'est que
toute relation humaine est une nourriture, une nourriture pour le cœur et pour
l'esprit. Nous avons constamment à apprendre des autres et c'est pourquoi nous
devons garder cette ouverture qui nous permet de nous laisser surprendre.
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